Aujourd’hui, nous sommes tous Japonais. Le printemps explose d’une vitalité joyeuse. Nous nous promenons sous les frondaisons des sakuras. Il faut célébrer cet instant. « L’homme est poussière. D’où l’importance du plumeau » dirait le grand Vialette. Tout le monde a le sourire. Prend la pose. Les vins se goûtent mieux par haute pression atmosphérique.
La campagne des Primeurs 2013 démarre officiellement. Les journalistes, les négociants, les acheteurs ou les non-acheteurs sont là.
Le mercato du printemps a déjà commencé. Les premiers sorties ont eu lieu. Il y a trois jours, Alfred Tesseron a pris tout le monde de vitesse. Il a sorti son Pontet-Canet 2013 …au même prix que l’an passé. Les négociants de la Place ont eu la matinée pour réfléchir et rendre leur réponse. »Tu prends ou tu prends pas ? Après moi le déluge !» Ils ont serré les poings, peur de perdre leurs alloc’ … Finalement, l’affaire s’est faite. Ils ont suivi et acheté à l’aveugle. C’est nouveau.
Officiellement – pour justifier leur « décision » d’avoir accepté de passer sous les fourches caudines – ils évoquent la puissance de la marque. Officieusement, ils parlent d’arrogance, de hors jeu, de carton rouge.
«Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est parce qu’elles pensent que des sardines seront jetées à la mer…»
Alfred Tesseron serait-il une sorte de nouvel Eric Cantona? Trop tôt pour l’affirmer. Je vous dirai dans trois jours, après avoir goûté le vin, s’il faut l’acheter. Cela dit, ce prix – même si les volumes sont réduits – est perçu par tous les acteurs lucides de la Place comme un très mauvais signe donné au marché.
Pour Alessandro Masnaghetti et moi, la journée commence à l’Evangile. Avec un vin qui nous surprend en beauté. Je rappelle à Masna que chez nous, dans le canton de Vaud, les vignerons taiseux emploient volontiers cet euphémisme : »Je suis déçu en bien »
Puis, c’est la dégustation du syndicat des crus de Pomerol dans une salle quasi déserte. Tant mieux. Des décoctions boisées, des vins qui campent sur des tanins revêches, et aussi des vins pour W.A.S.P., ternes et ennuyeux, on en trouve.
Mais il y a aussi de très jolies réussites, des vins sapides, équilibrés, aux tanins déliés comme Mazeyres, Bourgneuf, Rouget ou Certan de May. Mêmes impressions, mais plus contrastées, dans la belle salle des Dominicains à Saint-Emilion où se presse un public plus nombreux.
En fin de matinée, nous avons rendez-vous à Ausone où nous attendent Alain et Pauline Vauthier. Compte tenu des conditions du millésime, il n’y a pas à mégoter, c’est très bon. J’admire la forme fuselée, le dynamisme et l’aromatique très pure de l’Ausone 2013 dont il y aura 9000 bouteilles.
Le chef Guy Savoy est là. L’équipe de tournage qui nous accompagne souhaiterait l’interviewer. Il est d’accord. Oui, il aime le charme de ces vins, leur caractère délicat et aromatique. Oui, ce serait l’occasion pour les grands vins de Bordeaux de revenir en force sur les cartes des restaurants français. « A quel prix ? » Un ange passe.
C’est au tour d’Alain Vauthier de se prêter au jeu de l’entretien. Le réalisateur souhaite que l’on parle de l’agitation suscitée par la parution du livre Vino Business d’Isabelle Saporta.
On pouvait présumer de la position d’Alain Vauthier par rapport au classement controversé de 2012 (on a classé des marques davantage que des terroirs) : pourtant, ce que’il nous a dit à ce propos du dernier classement est percutant. Mais, hélas, la déclaration a eu en partie lieu hors caméra…
Cela dit, on comprend mieux que Saint-Emilion – qui quelque part est restée une structure assez médiévale, avec des fiefs, des clans et des factions – soit quasiment à feu et à sang.
Après un bref passage à La Conseillante, nous prenons la route de Coutet où nous attend la dégustation des Sauternes 2013. Aucun doute : si pour les vins rouges, le millésime 2013 a été terrible, il a surtout profité au producteurs du Sauternais, botrytis oblige !
Les très bons et les excellents vins ne manquent pas ici. Des vins dotés d’une belle tension avec des notes hespéridées assez marquées. J’ai particulièrement aimé Sigalas Rabaud, Lafaurie Peyraguey, Clos Haut Peyraguey et l’extravagant Fargues.
La visite qui suit à Yquem, en compagnie de Sandrine Garbay, va fixer encore davantage ces impressions. Quelle harmonie, quel style dans l’Yquem 2013 !
« Arrivés au moment des vendanges, au mois de septembre, on passe à des températures plus fraîches qui permettent de préserver le caractère très fruité du millésime. Les pluies de mi-septembre amorcent la botrytisation qui va se dérouler dans des conditions idéales, puisqu’on va enchaîner tout au long des vendanges des périodes humides d’infection du botrytis avec des périodes extrêmement sèches et chaudes qui vont aider à sécher et concentrer les raisins. Et on va faire ainsi quatre tries, du 25 septembre au 24 octobre dans des conditions tout à fait idéales. «
Nous nous arrêtons juste en face du château pour faire quelques plans. Le paysage que nous découvrons fonctionne comme une extraordinaire machine à remonter le temps. Plus de voitures, plus d’avions, plus de twitter. Juste le silence et l’épaisseur de la durée. Un paysage intact. Telle qu’a dû le voir Jacques Sauvage, le fondateur d’Yquem.
Il nous reste une visite, celle de Climens, où Bérénice Lurton présente, elle, les différents lots correspondant aux tries successives.
« Ce qui s’est produit lors de la première trie était très intéressant. Nous avons eu beaucoup de chance. Vraiment. Nous avons commencé la première trie le jeudi 3 octobre à 19h00. Il faisait presque nuit. Nous savions que la pluie allait arriver… »
La nuit est aussi en train de tomber pour nous sur cette journée chargée et Bérénice est déjà très retard pour le dîner d’ouverture à Pavie.
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« On pouvait présumer quelle serait la position d’Alain Vauthier par rapport au classement controversé de 2012 (on a classé des marques davantage que des terroirs) : pourtant, ce que nous a dit à ce propos ce dernier est percutant. Mais la déclaration a eu lieu hors caméra… »
Et, en privé, loin des oreilles indiscrètes, tu le dis à un ami ?
Ça m’intéresse énormément, tu penses bien.
Le mieux, Nicolas, c’est de prendre rendez-vous avec lui et de l’interviewer ! Cela dit, je précise qu’il s’est quand même exprimé sur le sujet, devant caméra. On verra quand le film sortira.